Appel du 10 juin : pourquoi je ferme mon cabinet et je vais aller manifester

Depuis le début de l’année, entre le rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) et celui de la Cours de Comptes, la profession de psychologue s’est retrouvée sur le devant de la scène sans qu’elle n’ait rien demandé.

Deux événements particuliers ont mis la profession en mouvement pour se mobiliser :

  • le dépôt début avril d’une proposition de projet de loi visant à la création d’un Ordre des psychologues, sans même que la profession n’en ait été averti ni impliquée dans ce projet.
  • la mise en place prochainement du remboursement des consultations par la CPAM, à des conditions délirantes pour les patient.e.s et les psychologues.

Je ne vais pas m’étendre dans cet article sur la question de l’Ordre.

Je ferme mon cabinet le 10 juin et je vais manifester : pour défendre le droit des patient.e.s à accéder librement aux psychologues de leur choix et selon les modalités qui leurs conviennent . J’y vais aussi pour défendre les droits et spécificités de la profession de psychologue. Enfin pour défendre les diversités et spécificités dans le métier de psychologue.

Je vais expliquer pourquoi je m’oppose au projet de remboursement tel qu’il est prévu : Le remboursement oui mais pas n’importe comment !

Qui est concerné.e ?

Toute personne de 18 à 60 ans ayant des troubles légers ou modérés et n’ayant pas eu d’arrêt de travail de plus de 6 mois.
Sont exclues les personnes ayant des troubles psychotiques, des problématiques d’addictions ou des idées suicidaires. Ces personnes seront orientées vers les CMP.

Comment cela va se passer ?

  1. Lors de son rendez-vous avec son médecin traitant, si la personne (répondant aux critères d’éligibilité à la mesure) en fait la demande ou si le médecin l’estime nécessaire alors une orientation vers un.e « psychologue clinicien ou psychothérapeute agréé.e par l’ARS (ou un.e médecin généraliste) »
  2. La personne prend rendez-vous avec le/la psychologue de son choix (entrant dans les critères) pour une évaluation. Un bilan sera transmis au médecin traitant [le prix de cette consultation d’évaluation n’est pas connu et il n’est pas précisé si elle sera remboursée par la CPAM]
  3. La personne retourne voir son médecin traitant (qui aura eu entre temps le bilan établit). Le médecin peut alors prescrire de 1 à 10 séances « d’accompagnement psychologique de soutien » chez un.e professionnel.le au choix (répondant aux critères d’éligibilité etc.).
    Les séances seront d’une durée de 30 minutes, payées 22€ sans autorisation de dépassement d’honoraires.
  4. A l’issue des séances prescrites, la personne retourne voir son médecin généraliste. Si l’amélioration n’est pas suffisante l[es critères d’évaluation de cette amélioration ne sont pas connus des professionnels pour l’instant], le médecin traitant oriente vers un médecin psychiatre.
  5. La personne va voir un psychiatre qui après une consultation donnera son avis sur la poursuite ou non possible de l’accompagnement.
    3 possibilités : l’arrêt de l’ « accompagnement psychologique de soutien », la poursuite avec le/la même professionnel.le ou la poursuite avec un.e autre professionnel.le (toujours répondant aux critères d’éligibilité etc.).
  6. La personne retourne vers son médecin traitant qui établira une prescription pour 1 à 10 séances de « psychothérapie structurée » par un.e « psychologue clinicien ou psychothérapeute agréé.e par l’ARS (ou un médecin généraliste).
    Ces séances de « psychothérapie structurée » dureront 45 minutes pour un prix de 32€ (dépassement d’honoraires interdit).

Plusieurs remarques

  • Le parcours est tellement complexe que cela risque de décourager les personnes les plus vulnérables. A croire que le but est de décourager !
  • 30 minutes… Comment se poser et prendre le temps de s’exprimer en 30 minutes? Il faut du temps pour réfléchir, même en parlant.
  • Les psychologues du travail, neuro-psychologues, psychosociologues, psychologues cognitivistes, etc. Bref toutes les spécialités autre que la psychologie clinique (ou les personnes ayant obtenu le titre de psychothérapeute en faisant un stage de 500h en milieu hospitalier) sont, pour l’instant exclues.
    Pourtant, ces psychologues ont fait de longues études également et ont des diplômes reconnus par L’État dans leurs spécialités. Et chaque professionnel a des domaines de compétences particuliers. Sinon ces spécialités n’existeraient pas ! Si les patient.e.s viennent me voir plutôt qu’un.e psychologue clinicien.ne, c’est pour une bonne raison.
  • Le suivi s’interrompt après les 10 premières séances le temps d’aller voir un.e psychiatre et son médecin traitant. Lorsque l’on connaît les délais d’obtention d’un rendez-vous chez un.e psychiatre cela implique une interruption longue du suivi.
  • Les personnes de plus de 60 ans ne sont pas concernées. Lorsque l’on sait les souffrances psychiques auxquelles les personnes âgées sont confrontées et plus particulièrement depuis le début de la crise « Covid », il y a de quoi s’interroger sur la prise en compte de la santé mentale chez les seniors.
  • Les personnes souffrant de troubles psychotiques, de troubles liés aux addictions ou ayant des idées suicidaires seront orientées vers les CMP. Là encore, les délais d’obtention d’un rendez-vous sont longs. Les CMP sont constitués d’équipes formidables mais qui sont sous dotées en moyens et en professionnels.
    Le secteur de la santé mentale en France est dans un état catastrophique : manque criant de moyens, de professionnels, de locaux. Il faut une volonté politique au niveau étatique pour permettre un changement.
  • Qu’en est-il des personnes atteintes de dépressions sévères, de troubles alimentaires, de troubles anxieux sévères, souffrant d’un burn-out ,… ? Là non plus, rien n’est très clair.

 

Le remboursement mais pas n’importe comment!

Je ne suis pas opposée au remboursement des consultations, par principe. Je suis opposée au remboursement dans les conditions qui seront imposées par les dispositions prévues par la CPAM.
Je suis opposée à la mise sous tutelle de ma profession par le monde médical.

Je suis opposée à ce qu’il y ait un tri entre les personnes qui pourraient ou ne pourraient pas bénéficier d’un dispositif de remboursement. Les patient.e.s doivent avoir un accès libre aux professionnel.le.s de la santé mentale de leur choix.

Je suis opposée au parcours qui va être imposé à toute personne ressentant le besoin d’un accompagnement psychologique ou d’une thérapie.

Je suis opposée à l’interdiction des dépassements d’honoraires. Je ne sais pas comment les tarifs de 22€ et 32€ ont été fixés mais ils sont complètement déconnectés des réalités de l’activité en cabinet libéral.

Je suis opposée à ce qu’une autorité médicale de tutelle vienne m’imposer le cadre et le format des consultations que je propose. Si j’exerce de telle ou telle manière c’est parce que j’y ai réfléchi (et j’y réfléchis toujours). Je me forme et je m’informe constamment. Je fais des séances de supervision mensuelles pour parler de ma pratique, de ma posture et réfléchir à comment accompagner aux mieux mes patient.e.s. Je respecte un code de déontologie. J’ai une éthique professionnelle. J’assume pleinement mes responsabilités et je peux répondre des choix que je fais.

Donc, je le redis :
Jeudi 10 juin, je vais manifester pour défendre le droit des patients à accéder facilement et librement au psychologue de leur choix.
Jeudi 10 juin, je vais aussi manifester pour défendre mon métier et ce en quoi je crois!